Sangliers à réaction

En un charmant petit mercredi soir, une Dacia blanche immatriculée dans le Doubs se mouvait dans la campagne franc-comtoise. On notait, sur la carrosserie, quelques stigmates, conséquences d’une utilisation intensive en milieu urbain. Une étude à la lumière noire de l’aile arrière-droite révélerait d’anciennes traces de vomissures riches en mayonnaise et en cordons bleus par paquet de douze.
L’intérieur dudit véhicule dévoilait l’allergie pathologique du conducteur vis-à-vis du rangement. En témoignaient les nombreux emballages de sandwichs qui émergeaient d’un sac poubelle à l’agonie. Les deux sièges avant du véhicule étaient occupés, du côté volant, par un pilier poète bien connu des services de sécurité des restaurants à volonté de la région, et du côté boîte à gant, par un grand ahuri à lunettes, doté par ailleurs d’une imposante choucroute rousse bouclée. Le duo était en route pour Arbois, avec l’intention manifeste de participer à l’entraînement de l’équipe de Rugby locale. Les kilomètres et les radars s’écoulaient tranquillement, la cité vigneronne s’approchait. Dans l’habitacle, on pouvait entendre – en sourdine – une version acoustique de You and I des Scorpions. Tout semblait bien se passer, lorsque soudain survint le drame, juste à la sortie d’un virage :
– Dis moi, Thibault, tu connais Aya Nakamura ?
Parcouru d’un frisson, le conducteur ignora la question et se crispa légèrement sur son volant, juste l’espace d’un instant.
– Tu connais pas ? insista le passager.
– Si, reconnut Thibault, pensant naïvement que la réponse mettrait un terme à cette discussion.
– Tu aimes bien ?
– Non.
– Ah.
Le silence reprit ses droits, pendant à peu près dix secondes, soit dix fois la durée d’un faux espoir.
– Je peux en mettre une chanson ? demanda alors Léni en dégainant son portable.
– Non.
– T’es sûr ?
– Oui.
– Juste une petite…
– Non.
– Tu en a déjà écouté ?
– Non.
– Du coup, comment tu sais que tu n’aimes pas ?
– Un jour, je me suis demandé si la bière au sirop de courge c’était bon, répondit Thibault après un moment de réflexion, depuis, j’ai appris que la curiosité ne menait pas toujours à des expériences agréables.
– Bon, du coup, j’en mets une chanson…
– NON !
– Pourquoi ?
– Parce que si tu ne ranges pas ton téléphone tout de suite, je le balance par la fenêtre !
– T’oseras pas.
– Chiche ?
Sur ces mots, il fit éloquemment descendre la vitre de son côté. La manivelle lui resta d’ailleurs dans la main. Il la remit en place d’un coup de poing agacé.
– Je suis sûr que tu n’oseras pas, répéta Léni, tu es trop respectueux.
– Ça, c’est toi qui le dit…
Le silence revint. You and I avait fait place à Fat Bottomed Girls de Queen. Mais au volume minimum, personne ne s’en rendit compte. Pessans fut dépassé, puis Samson. L’incident semblait oublié, puis une voix se mit à fredonner depuis le siège passager.
– Mmmmh… Gnégnégné, oooooh Djadja !
Quelques instants plus tard, au beau milieu d’un champ, Thibault remettait sa pelle dans son coffre, après avoir achevé de tasser la terre qui rebouchait le trou qu’il avait hâtivement creusé auparavant. Visiblement soulagé, il s’en retourna vers son siège, bien décidé à ne pas arriver en retard à l’entraînement.
– Tu sais, ton problème, c’est que tu manques de tolérance, lui lança un Léni enterré jusqu’au cou.
Sans répondre, le poète claqua la portière et démarra en trombe. Pour se détendre, il mit un peu Death métal grind core Norvégien avec le volume à fond. Enfin un peu de calme.
Et bien le bonjour, amis arboisiens, amies arboisiennes ! Revenons à la réalité après ce moment de (demi) fiction. Comme vous vous en serez douté, cette histoire n’est pas tout à fait vraie (je n’avais pas de pelle, j’ai dû creuser avec mes doigts). Ce qui est tout à fait vrai, en revanche, c’est que notre saison n’a pas débuté de la meilleure des manières, et ce n’est rien de le dire. Nous sommes revenus d’Autun avec une belle déconvenue dans les bagages et un petit rouge dans nos cartons. Bon, il n’y a pas encore de quoi sonner l’alerte (rouge) mais la mollesse montrée en terre autunoise est évidemment préoccupante. Une réaction saignante de nos sangliers était attendue ce week-end alors que nous accueillions l’autre équipe promue, vainqueurs de Montchanin la semaine précédente : Montceau-les-mines.
Un match qui s’annonçait d’ors et déjà compliqué, avec une victoire impérative pour pouvoir se maintenir dans la lutte. D’un autre côté, la réserve se devait de poursuivre sur sa lancée, et confirmer sa belle victoire de la semaine dernière. Il s’en est passé des choses, sous la pluie et dans le vent, et puisqu’on ne pouvait pas accueillir beaucoup de monde à l’Éthole, je m’en vais les conter pour tous les absents.

Le match de la réserve

Sans doute rassurée par sa prestation à l’extérieur, l’équipe réserve retrouvait la pelouse de l’Éthole avec une certaine sérénité, mais sans excès d’assurance. L’adversaire se respecte en toute circonstance : se croire à l’abri de la défaite peut être le premier pas vers la déconfiture.
L’équipe proposée en ce jour avait fière allure, sur le papier : de la jeunesse, de la vi… de l’expérience, de la nouveauté, aussi ! Ce qui me fait constater que je n’ai toujours pas souhaité la bienvenue aux nouveaux arrivants ! J’en ressens une grande honte. Bienvenue alors à Vincent, Thomas, Timothée 1 et à Timothée 2 qui vient nous donner un coup de main en double licence avec Censeau. Bienvenue à Enzo aussi dans le doute, car même si je l’ai déjà vu l’année dernière, je n’ai pas souvenance de l’avoir vu sur une feuille de match. Bienvenue dans la famille de l’US Arboisienne, les gars !
Les présentations étant faites, penchons nous sur le match :
Les arboisiens démarrèrent en trombe, avec beaucoup de rythme et de bonne volonté, mais la défense des visiteurs reste vigilante… au prix de quelques irrégularités. Après quelques tentatives infructueuses pour aller à l’essai, Barquette réclama son fameux tee répudié par la loi Evin et commença à enquiller les points : un, deux, puis trois pénalités entre la 16ème et la 22ème, une bataille âpre et puis ce fut l’heure d’épépiner les citrons avec les dents. 9-0
Cela commençait bien, mais on ne pouvait pas vraiment dire que le trou était fait et le match gagné. Les visiteurs offraient une belle opposition avec une défense parfois indisciplinée, mais ne laissant rien passer. La reprise n’offrit rien de différent durant le premier quart d’heure : légère domination arboisienne, mais hermétisme défensif de Montceau qui parvint même à ouvrir son compteur d’une pénalité : 9-3.
Imperturbable, Barquette répondit de sa vénérable botte. 12-3
Et puis les rouge et noir trouvèrent la faille : parvenus à proximité de l’en-but des visiteurs, Timothée 1 joua au près et aplatit derrière la ligne de craie… ou peut être dessus, voire même devant, pour ce que j’en sais, puisque depuis le terrain d’échauffement, on n’y voyait goutte, si j’ose dire, eut égards aux conditions météo. On a juste vu un tas d’hommes boueux, et entendu une clameur victorieuse. Ils ont fait le trou, s’est-on dit. 19-3 après la transformation d’un Barquette décidément très précieux : déjà 14 points aujourd’hui.
À ce moment-là, il restait une grosse vingtaine de minutes de jeu. Largement assez pour une réaction des visiteurs, il fallait bien le reconnaître. Ainsi, le relâchement était interdit. Zonzon fit tourner le banc pour que l’équipe garde le rythme, et tienne bon jusqu’au coup de sifflet final. Bien lui en prit, car Montceau eut finalement le dernier mot, d’un essai transformé marqué à cinq minutes de la clôture des débats. 19-10
Monsieur l’arbitre renvoya tout le monde aux vestiaires et les spectateurs laissèrent éclater leur contentement. Beau match encore de la part des réservistes : l’équipe tourne bien et de nombreux joueurs prometteurs tirent leur épingle du jeu. On a hâte de voir s’ils sont capables de confirmer à l’extérieur la semaine prochaine ! Bravo aux deux équipes pour ce match divertissant.

Le match de la première

La victoire d’une réserve est toujours un excellent apéritif pour une équipe première, mais comme nous avons pu le voir la semaine dernière, ce n’est pas toujours un gage de victoire. Bon, par contre, hors de question de refaire le coup à la maison. Nous avons la chance d’avoir l’opportunité de lancer notre saison à l’Éthole, il serait navrant de ne pas la saisir. Les sangliers sont donc entrés sur le terrain remontés comme des coucous et concentrés comme de la purée de tomates. Quelques minutes plus tard, trois pour être précis, Montceau menait 0-7. Outch ! Concentrés vous disiez ?
Pas tant que ça : sur une pénalité abordable tentée par le buteur des visiteurs, le ballon rebondit sur un poteau, et retombe dans les bras d’un joueur qui était monté, lequel s’en alla marquer sous les poteaux sans opposition. Le tout sous nos regards médusés. Grossière erreur des sangliers qui jurèrent, un peu tard, qu’on ne les y reprendrait plus. Ça fait du bien de jurer, parfois, et nous repartîmes de l’avant avec un peu plus de sérieux. La défense se comportait mieux que la semaine dernière, on avançait… Bon, on perdait quelques ballons aussi, puisque nous ne sommes pas parfaits, et surtout puisque nous faisions face à une belle équipe très bien organisée en défense, et sachant se montrer opportuniste en attaque.
En témoigne ce long coup de pied rasant qui acheva sa course à quelques centimètres de notre en-but. Quentin mésestima alors la situation : pensant le ballon toujours en mouvement, il posa un pied dans l’en-but et y ramena le cuir. Alors, oui, mais l’arbitre n’était pas de cet avis, et à vrai dire, nous non plus (il faut bien être honnête). Mêlée à 5, donc, au lieu du renvoi aux 22 espéré. Erreur de notre néo-15, mais personne dans l’équipe n’est assez blanc pour lui jeter la moindre pierre. Toujours est-il que suite à la mêlée qui suivit, Montceau parvint à se frayer un chemin jusqu’à l’en-but. En bout de ligne, et ce malgré un retour canon de grognon, le talonneur adverse aplatit derrière la ligne. Fâcheux, mais cela aurait pu être pire si la transformation avait été réussie. 0-12 à la 34ème minute.
Deux erreurs, deux essais, la coupe est pleine. Agacés, les arboisiens revinrent à la charge, bien décidés à s’installer dans le camp adverse. Étant contre le vent, nous peinions à sortir du nôtre sans heurts. Et puis, sous les nuages gris et la pluie qui continuait à crachiner, notre jeu sortit le bout de son nez et nous trouvâmes l’illumination. Harcelant sans relâche la ligne de défense adverse, nous parvînmes à planter la guitoune dans les 22 de Montceau. Votre serviteur fut proche de marquer son deuxième essai en autant de match, mais une défense judicieuse repoussa l’échéance. Peu de temps après la mêlée qui s’ensuivit. Les trois-quarts manœuvrèrent à merveille, et Polo plongea derrière la ligne blanche. Hugo se chargea de la transformation, et à la mi-temps, nous n’étions plus menés que 7-12.
Compte tenu de notre première mi-temps catass, ce n’était pas cher payé. Sereins, nous nous promîmes de conserver ce rythme pendant la seconde période. De leur côté, Montceau se promit sans doute de tenir bon, voire d’enfoncer le clou. Une de ces deux promesses ne fut pas tenue. Les arboisiens revinrent aux affaires avec d’autres intentions, et avec le vent dans le dos, ce qui n’est pas rien. Nous nous frayâmes un chemin vers les 5 mètres adverses, et après une bonne alternance que l’on n’avait plus vu depuis bien longtemps, Léni se faufila jusqu’à la terre promise. Transformation réussie par Hugo 14-12 et enfin, nous reprenons l’initiative. Les supporters rugissent de bonheur.
Mais le match est loin d’être fini, car Montceau est loin d’être largué, que ce soit physiquement ou comptablement. De plus, les arboisiens ne se facilitèrent pas la tâche sur les coups de pieds de renvoi. Nos sorties de camps étaient laborieuses, et Montceau en profitait pour maintenir une certaine pression sur nos lignes. Mais nous tînmes bon, et à chaque fois que nous parvenions à revenir dans leur camp, avec l’appui du vent, nous concrétisions l’action par une pénalité. Une fois, deux fois, trois fois… Adjugé ! Neuf points dans la besace. 23-12, dont 13 au crédit de Hugo qui s’affiche de plus en plus comme le buteur fiable qui nous manquait tant l’année dernière.
Montceau jeta ses dernières forces dans la bataille, mais la messe était dite, et le score n’évolua plus jusqu’au coup de sifflet final. Nous pûmes alors laisser éclater notre joie. Qu’elle fut belle, cette victoire ! Quel beau visage affiché malgré le temps pourri et les essais un peu bêtement encaissés. Il y eut du sérieux, de la maîtrise et une sérénité inébranlable. C’est un vrai bonheur de commencer véritablement la saison là-dessus. Et devant nos supporters, s’il vous plaît ! Bravo aux deux équipes pour ce beau match, viril, mais loyal. Il fut beau à regarder, et la collation n’en fut que plus agréable, malgré les mesures anti-COVID qui nous imposèrent de délaisser notre club-house et le buffet habituel, remplacé par une distribution de rations sous le chapiteau.
C’est moins fun que nos vieilles pierres, mais bon, c’est comme ça. Quoi qu’il en soit, bonne fin de saison à Montceau les mines, et à charge de revanche lors de la phase retour. Merci à tous pour ce dimanche au temps pourri, mais néanmoins chaleureux. On se déplacera la semaine prochaine sur les terres de St-Apollinaire, pour faire un match qui n’eut jamais lieu l’année précédente. Notre retour à l’Éthole se fera le 18 Octobre, avec la réception de Verdun. Portez-vous bien en attendant, on n’est pas encore sorti du COVID.

Épilogue :

Dans les ténèbres glaciales de la nuit, une silhouette masculine armée d’une pelle se dirige à pas fatigués vers un coin de verdure qui ne semble pas différent d’un autre. L’homme s’arrêta, planta la pelle dans le sol avec lassitude puis déclara :
– Ok, tu as fait peur aux vaches et tu nous as cassé les oreilles… pour ne pas dire autre chose, pendant toute la journée… Tu as gagné ! Je te propose un truc : tu arrêtes de chanter, et je te déterre. On est d’accord ?
– Ok, djadja !

Les scores : Deux victoire, ce dimanche :

19-10 pour la réserve
23-12 pour la première ! Gruiiiiik !